Villes et paysages: les lieux sans désignation dans l’invention d’un idéal

Carole Lévesque

Les vingt-cinq dernières années ont vu croître un intérêt particulier pour le terrain vague. Dans le discours architectural actuel, le terrain vague a fait surface avec la ville post-industrielle et la dénomination de l’expression par Ignasi de Solà-Morales en 1994. Pourtant, l’histoire de l’art et de l’architecture témoigne depuis le 17e siècle d’un intérêt pour le vague, qu’on nommerait peut-être plus justement des lieux non-désignés. À titre d’exemple, les appareils des grandes fêtes publiques des villes européennes des 17e et 18e siècles démontraient déjà le rôle significatif du non-désigné dans la construction d’un imaginaire urbain et architectural. En peinture, le non-désigné apparaît à la même époque avec des peintres qui représentent des paysages urbains dans lesquels sont représentés des lieux sans description, où le vague se mêle aux ruines et à la ville. Ces vues urbaines intègrent le non-désigné comme partie prenante de la ville en transformation pour développer une représentation dans laquelle il semble tout à fait naturel que des espaces « autres » côtoient la vie quotidienne. La recherche propose ainsi que les lieux non-désignés ne sont pas que des espaces abandonnés ou en attente de développement, mais qu’ils sont tout aussi constitutifs de la ville que ne le sont les lieux construits et que c’est à travers la représentation qu’ils participent activement au discours sur le développement de la ville et à l’imaginaire du paysage. À ce titre, l’invention du paysage prend d’abord forme à travers le regard porté sur la nature depuis la ville, c’est-à-dire sur l’espace « qui ne sert à rien » depuis celui pour lequel les usages sont déterminés : l’invention du paysage serait directement tributaire d’un regard sur le non-désigné. Plutôt, donc, que de considérer ces lieux comme une anomalie à l’encontre des bonnes pratiques et d’un environnement adéquat, la recherche-création propose que ces lieux sont une partie essentielle à la ville et au paysage et qu’ils permettent de générer une lecture « autre », essentielle à leur transformation.

Le projet de recherche-création s’articule autour de deux axes de recherche principaux. Tout d’abord, une approche argumentative qui déconstruit les notions de paysage et de terrain vague afin d’illustrer l’émergence du non-désigné dans notre reconnaissance du paysage et de l’espace urbain. Il s’agira ensuite de s’attarder à un cas spécifique, celui du Campo Vaccino à Rome, pour mettre en relation ses représentations, disons anciennes, avec une étude de ses transformations et la représentation de son état actuel.

Ce projet est financé par le FRQSC recherche-création et la Faculté des Arts de l’UQAM

Vue du Campo Vaccino – Claude Lorrain, 1636
Carole Lévesque, Campo Romano, 2019, 120cmX120cm

Diffusion du projet